L’usufruitier n’a pas la qualité d’associé, y compris en matière fiscale

Cass. com., 30 novembre 2022, n° 20-18.884

« L’usufruitier ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire ».

Motivation souvent évoquée lors des litiges qui concernent la reconnaissance de la qualité d’associé au nu-propriétaire ou à l’usufruitier dans le cadre des assemblées générales, la Cour de cassation vient en faire application dans son arrêt du 30 novembre 2022 en matière de fiscalité d’une opération de cession d’usufruit temporaire de droits sociaux.

 

En mars 2012, les associés d’une SCI cèdent l’usufruit de leurs parts pour une durée déterminée de 20 ans à une SAS, laquelle acquitte le droit fixe de 125 € prévu par l’article 680 du Code général des impôts pour leur acquisition, à défaut d’une autre fiscalité applicable. Une proposition de rectification leur est adressée par l’administration fiscale, dans le but de soumettre l’opération au droit d’enregistrement de 5 % prévu par l’article 726 du Code général des impôts, relatif aux cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière.

 

La société acquéreuse opère alors une réclamation contentieuse et assigne l’administration fiscale en décharge des droits supplémentaires mis en recouvrement. Rejetée partiellement en première instance, la réclamation est rejetée également par la cour d’appel de Paris. Selon elle, il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas : le terme « cession » de l’article 726 engloberait autant la cession de la pleine propriété que de son démembrement. Elle souligne également que la cession a entraîné pour les nus-propriétaires une perte du droit au bénéfice des dividendes et une perte du droit de vote aux assemblées, ce qui entérinerait le transfert d’éléments de participation, au sens de l’article 726.

 

La SAS conteste l’arrêt et se pourvoit en cassation, soutenant que la cession temporaire de l’usufruit des parts sociales n’entraîne pas le transfert de leur propriété en ce qu’elle ne confère pas à l’usufruitier une part du capital, mais seulement le droit temporaire de jouir et de percevoir les fruits, et impose toujours aux associés de la SCI, en qualité nus-propriétaires, d’assumer le risque capitalistique qui s’y rattache.

 

Au visa de l’article 578 du Code civil, selon lequel « l’usufruit est le droit de jouir d’une chose dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance », la Cour de cassation réaffirme que le droit d'usufruit ne confère pas la qualité d’associé à l’usufruitier de droits sociaux, réservée au nu-propriétaire. Partant, la cession de l’usufruit temporaire de droits sociaux n’entre pas dans le champ d’application de l’article 726 du Code général des impôts en ce qu’elle n’emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux.

 

Régulièrement rappelée par la Cour de cassation, la motivation sur la non-qualité d’associé de l’usufruitier vient donc s’appliquer en matière fiscale à la cession d’usufruit temporaire de droits sociaux.  La Cour de cassation maintient sa position et ne reconnaît la qualité d’associé – et donc la propriété des parts – qu’au nu-propriétaire et ce, quand bien même la cession a entraîné une perte concomitante du droit de vote et du droit au dividende. Bien qu’évoqué en appel, il ne s’agit en effet pas d’un indice permettant de donner qualité d’associé à l’usufruitier : l’article 1844 du Code civil précise d'ailleurs, depuis la loi SOILIHI du 19 juillet 2019, que le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent tout à fait envisager conventionnellement d’attribuer le droit de vote uniquement à l’usufruitier. Cela n’en fait pas perdre pour autant la qualité d’associé au nu-propriétaire.

Laure BACHELLERIE, Juriste.